Le pacte du diable
Le conte légendaire que je vais vous conter doit sa survie à une brume blanche qui décida, ce jour-là, de vivre sa propre vie et d’impacter toutes les mémoires des hommes vivant aux alentours.
C’est un joyeux drille doté d’une volonté peu commune et d’un égo surdimensionné qui devient par l’obstination tenace d’un magicien de pacotille, la victime de ce curieux faiseur de miracles.
Tandis que l’artiste préparait ses tours pour le soir, il repéra le prétentieux qui paradait au bar. Il comprit sur le champ comment charmer le gogo. C’est donc d’un pas décidé qu’il se dirigea vers lui.
- Bonjour, monsieur, puis-je vous offrir un verre ?
- Ma foi, ce n’est pas de refus. Que me vaut cette générosité ?
- Je suis magicien et je cherche un nouvel élève.
- Je ne crois pas en la magie et puis regardez, j’ai beaucoup mieux à faire avec toutes ces jolies filles qui n’attendent que moi !
- Pauvre sot ! Dans dix ans quand ce sera fanée votre beauté, que vous restera-t-il ? Moi, je vous propose une destinée avec la gloire et la richesse au bout.
Le fat réfléchit. Il n’est pas riche et à voir le costume et les bijoux du magicien, celui-ci semble bien vivre de son métier. Et comme il n’est pas sot, il risque de faire bien mieux que lui.
- Que dois-je faire pour commencer ?
- Froisse cette feuille et brûle là !
- C’est tout ?
- Oui ! Cela vaudra contrat pour moi et nous débuterons les cours.
Le jeune homme prend la feuille, la froisse et à l’aide d’une allumette, il l’enflamme. Aussitôt qu’elle a fini de se consumer, l’horizon se couvre de gros nuages noirs et des éclairs déchirent le ciel. Devant le bar, un arbre tombe foudroyé.
- C’est quoi ce cirque ? C’est la première fois que je vous un orage de ce type en plein mois de mai.
- C’est l’envers du décor mon poulet. Tu viens de signer un pacte avec le diable.
- Tu as pris la foudre, mon pote, qui croit encore à ces âneries ?
- Mais toi ! Tu vas vite comprendre, fragile créature, que désormais tu m’appartiens. Emprunte les chemins que je choisis pour toi et tu auras tout ce que je t’ai promis, à savoir gloire et richesse.
Le jeune sot éclate de rire et se moque du magicien. Mais à peine a-t-il fini de rire qu’il plonge au fond d’un puits si noir qu’il n’en voit pas la fin. Soudain, une eau glaciale l’absorbe et il coule. Lorsqu’à bout de souffle il finit par remonter à la surface, il n’est plus dans un puits, mais au beau milieu d’un lac. Épuisé et gelé, il nage vers le rivage. Alors qu’il sort à peine de l’eau, un roseau ploie devant lui et lui parle.
- Ne t’obstine pas ! Sinon tu finiras comme nous tous, roseaux sur le bord de ce lac sans vie.
- Qui êtes-vous ?
- Des âmes perdues, tout comme toi. Le diable nous a roulés.
Sous le coup de la surprise, le jeune sot glisse et retombe à l’eau. Au même instant il entend le magicien qui rigole à en perdre haleine.
- Scélérat ! Tu m’as trompé.
- Pauvre imbécile ! Vous êtes tous pareils, orgueilleux et stupides.
Sur ces derniers mots, le diable s’évapore. Une goutte tombe sur le visage du jeune homme, puis une autre et bientôt elles tombent par milliers. En quelques secondes le pauvre garçon a les pieds dans une flaque qui menace de l’engloutir. Il fait un bond et se retrouve sur la terre ferme. Il interroge à nouveau les roseaux.
- Comment je m’évade d’ici ?
- Attends l’aube. Ensuite tu traverseras la prairie et tu chercheras la chouette tremblante. C’est une brave bête. Elle s’occupe de la chorale du diable, mais elle ne l’aime pas. Tu lui demanderas deux brassées d’herbe verte. N’aie pas l’air étonné lorsqu’elle déploiera ses ailes immenses. Elle te prendra dans ses serres et elle te conduira à la source des souhaits. C’est un endroit lumineux au bord d’un joli chemin de terre. Là, tu verras un très vieux chêne qui perd ses feuilles. Dis-lui bonjour, car en ce lieu, chaque midi, en entendant ce bonjour, un aigle de grande envergure déploie une ombre gigantesque qui te sauvera. Protégé par cette ombre, tu ramasses toutes les feuilles, puis tu les portes au lapin qui vit à l’orée du bois. Tu l’aideras à les mettre en place en couvrant totalement son terrier. Pour te remercier, maman lapin te donnera un fil d’or. À ton tour, tu lui offriras l’herbe verte que tu as reçue de la chouette.
- J’imagine que c’est à ce moment-là que je quitterai cet endroit maudit !
- Pas du tout ! Ici, tu n’es plus sur Terre, mais au pays des merveilles.
- Tu parles d’une merveille. C’est le pays du Diable !
- Décidément, tu es trop bête ! Le diable te fera ta fête c’est certain.
- Mais bon sang, qu’avez-vous tous à vous moquer de moi ? Tu n’es pas un saint, toi non plus ! Sinon, tu ne croupirais pas ici.
- C’est exact. Mais si tu m’écoutes attentivement, les auspices te seront favorables et tu pourras partir et nous libérer. Dans le cas contraire, tu pourriras ici avec nous. Le merveilleux a un prix très élevé ici. Il te faut envisager de ne rien contrôler. Toucher au miracle, même du bout des doigts, peut apporter bien des tourments.
- J’ai compris. Dis-moi ce qu’il me faut faire !
- Avec le fil d’or de la mère lapin, tu vas pêcher un gros poisson qu’il te faudra acheminer jusqu’à la tanière du diable. Son repaire est mystique pour nous tous, car nul n’en est jamais revenu. Deux protectrices gardent son entrée. On les appelle les dames blanches. Une légende locale dit qu’elles sont fantastiques, mais nous ignorons pourquoi. La légende dit aussi que celui qui saura retenir et leur chanter les bonnes paroles pourra tous nous délivrer de ce sortilège. Alors, écoute bien, car je ne pourrai dire ces paroles qu’une fois.
Oeuvre de Magritte
Le balai des demoiselles
Danse au ballet des jouvencelles
Si leurs cœurs sont bons
Elles feront des bonds
Au pied du vieux chêne
Tomberont les chaînes
Et de leurs bouches closes
Fleuriront les clauses
Du beau contrat d’amour
Qui les livra au diable un jour.
- Quand tu la sauras par cœur, file et délivre-nous tous.
Et c’est ainsi qu’au petit matin, le jeune fait si sot devint un héros. Aux demoiselles sans visage, il chanta sa contine, et le diable énamouré devint à son tour leur esclave. Depuis ce jour, les roseaux ploient sous le souffle du vent, car le diable, furieux d’avoir été trompé, referma les portes du monde merveilleux. Quant à notre jeune homme, plus du tout si sot, il devint riche et puissant grâce à son travail et à sa volonté de ne plus s’en laisser conter.
Maridan 10/12/2016
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