Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

l'eau source de vie ou de mort?

Elle avait eu envie de solitude. Pourquoi ? Elle-même n’en savait rien. Alors, elle avait longuement réfléchi. C’est une petite annonce dans le journal local, découverte ce soir, qui avait donné naissance à son projet. Voici ce qui était écrit :

« Voilier de treize mètres cherche un skipper expérimenté pour partir à New York. Embarquement prévu le huit octobre à Marseille, quai vingt-huit. Prendre contact avec la capitainerie au 04.92.18.27.15 et demander monsieur Canalier. »

 

Cette annonce avait éveillé en elle un vieux rêve enfoui depuis si longtemps. À vingt ans, elle avait passé le permis hauturier, elle savait qu’elle pourrait diriger ce voilier sans difficulté. Elle prit son téléphone et composa le numéro indiqué.

 

« Monsieur Canalier, je vous prie. 

  • C ’est moi-même ! Que puis-je pour vous ?
  • Voyez-vous un obstacle à confier la direction de votre voilier à une femme ?
  • Quelle est votre expérience ?
  • Il y a cinq ans, j’ai passé mon permis hauturier. À cette époque, je participais à de nombreuses frégates. Aujourd’hui, il m’arrive encore de jouer les skippers sur les voiliers pour des touristes qui veulent découvrir les îles de la méditerranée.
  • Combien de temps vous faudra-t-il pour rejoindre New York avec un Hunter 21 ?
  • Tout dépendra de la météo. Je dirai entre trois et quatre semaines en navigant tranquillement, ou en quinze jours si vous acceptez de me laisser prendre quelques risques. Cela pourrait même vous amuser !
  • Quel âge avez-vous ?
  • Vingt-six ans, pourquoi ?
  • Vous êtes jeune en plus d’être une femme ! Pensez-vous honnêtement être capable de remplir cette mission ? Le bateau doit impérativement être à New York dans trois semaines.
  •  J’en suis tout à fait capable ! Mais, vous-même, êtes-vous suffisamment intelligent pour faire abstraction de mon sexe et de mon âge ? »

C’est cette dernière remarque qui avait déclenché l’accord du type. Il avait été piqué au vif. Ce matin quand elle avait embarqué, elle avait surpris son regard inquiet. Cela l’avait amusée. Ce n’était pas la première fois qu’elle captait ce regard dans les yeux de ceux qui lui confiaient leurs bateaux. Lui se rendrait sur place en avion. Une fois qu’il fut parti, elle se retrouva enfin seule.

 

Elle prit la route de New York. Déjà plusieurs heures qu’elle naviguait. Le temps pour l’instant était au beau. Elle était seule au monde, au cœur de l’océan atlantique.

Le ciel était en train de virer à l’orangé, les nuages s’étaient enflammés et l’horizon virait au gris de Payne. Subsistaient encore çà et là quelques touches de bleu turquoise. L’océan reflétait comme un immense artiste la magnifique palette de ce soleil couchant.

 

Cette vue, à elle seule, aurait pu expliquer le bien-être dans lequel, elle était à présent. Être seule, perdue au milieu de nulle part, c’est le luxe de pouvoir enfin se recentrer sur soi. Sa joie aurait pu venir de là, mais ce n’était pas le cas. Son plaisir résidait dans tout ce qu’habituellement, elle ne distinguait pas, compte tenu du brouhaha environnant. Ici, pas de bruit parasite qui occulte votre perception des choses.

 

Sa jubilation était liée :

  • Au claquement des voiles agitées par le vent.
  • Au chant de l’eau que la proue du navire fendait déclenchant par la même des vagues d’écume blanche qui accompagnaient le voilier dans sa course vers cet ailleurs.
  • À la caresse de ses cheveux, libérés de toutes entraves, qui venaient caresser son visage attentif.

 

À la barre de ce splendide voilier, elle se sentait maîtresse du monde et libre comme jamais. Mais plus important que tout, elle se sentait enfin en paix avec elle-même. Elle regarda ce premier coucher de soleil s’éteindre à l’horizon. Elle bloqua sa barre dans la bonne direction, vérifia sa position. Elle avait choisi, une route un peu plus longue, mais très peu fréquentée par les grands navires marchands. Elle mit en marche le sonar d’alerte au cas où, elle se rapprocherait de trop près d’un obstacle quelconque ; puis, elle s’autorisa une sieste d’une heure.

 

Lorsque l’alarme la réveilla, il faisait encore nuit noire. Elle monta sur le pont. La lune pleine éclairait le magnifique voilier d’une lueur blafarde. Tout autour, un noir d’encre dominait. Le vent poussait fort et les embruns fouettaient son visage avec passion. Elle respira à plein poumon cet air iodé.

 

Elle débordait de reconnaissance envers ce monsieur Canalier qui avait fait le choix de lui faire confiance, alors qu’elle n’avait pas cessé de lui mentir du début à la fin, sans le moindre scrupule. Oh bien sûr ! Tout ce qu’elle avait dit aurait pu être vérifié, mais c’est son frère qui tenait la barre. Mal parfois, mais, ni lui, ni son père n’auraient accepté de lui confier la barre. Sales machos ! Ça s’était passé comme cela, jusqu’au jour maudit où, elle avait pris la mer avec son frère, et ce malgré ses réticences à elle qui avait regardé la météo. Elle n’aurait pas barré comme lui avec un vent de force huit. Mais son frère avait voulu jouer les marioles, une fois de trop. Elle n’avait dû son salut qu’à son gilet de sauvetage, qu’elle avait enfilé, quand elle avait compris que son frère n’en ferait qu’à sa tête, comme d’habitude. C’est un chalutier qui l’avait recueillie trois heures plus tard, alors qu’elle se pensait perdue. Elle était rentrée seule et désespérée. Elle avait fui le chagrin de ses parents et la Bretagne. Elle s’était retrouvée à Marseille. Elle avait tout de suite aimé cette ville, sa gouaille, ses quartiers populaires, son port.

 

Elle avait pensé que toute cette vie trépidante l’aiderait à faire son deuil, mais surtout à se pardonner de ne pas avoir su l’empêcher de sortir en mer ce jour maudit. Elle avait espéré oublier les cris au milieu de la tempête, dans la nuit noire. Son frère avait cru l’avoir tuée. Elle l’entendait hurler son nom, mais elle ne pouvait lui répondre. Elle luttait pour survivre. Elle dormait quand le bateau s’était retourné. Elle s’était réveillée frigorifiée, il ne restait presque plus d’air dans la cabine renversée. Elle avait hurlé, mais le bruit de l’orage était si fort que son frère n’avait pas entendu. Elle avait dû plonger sous l’eau pour récupérer la hache, car la porte de la cabine était bloquée par la pression de l’eau. Puis, il lui avait fallu frapper et frapper encore, malgré l’eau qui montait. Elle avait pris une profonde inspiration, priant pour avoir assez d’air pour sortir de son tombeau. Quand la cabine avait été pleine, elle était sortie de l’habitacle et son gilet avait fait le reste la poussant vers le haut sans trop d’effort. Elle avait aspiré un grand bol d’air et prit la plus grosse tasse de sa vie. Les vagues étaient très hautes et ne cessaient de la jeter d’un endroit à un autre. Cent fois, elle avait cru sa dernière heure arrivée. Finalement, la tempête s’était enfin éloignée.

 

Elle avait vu leur voilier s’enfoncer. Elle avait hurlé jusqu’à ne plus avoir de force. Mais son frère n’avait pas répondu. Les vagues gigantesques l’avaient éloignée du lieu de l’accident. Elle avait fini par sombrer dans un sommeil agité où la peur et le froid menaçaient de l’engloutir plus surement que les vagues meurtrières. Elle s’était éveillée sous la brulure du soleil. Elle était affamée et assoiffée. Plus rien ne la protégeait de la morsure solaire. Elle avait croisé la route de dauphins qui l’avaient entourée quelque temps avant de disparaître. Elle avait erré ainsi pendant trois longs jours. Elle avait renoncé à croire, alors, Dieu l’avait entendu. Elle avait vu un bel albatros passait au-dessus de sa tête. La terre n’était plus loin. Elle avait repris espoir. Peu de temps après, un chalutier l’avait repéré et avait envoyé un canot pour la récupérer. Elle n’avait pas eu la force de grimper à l’échelle de cordage, alors, on lui avait passé un harnais autour du corps et elle avait été hissée à bord. Le médecin l’avait empêché de boire trop vite. Il lui donnait des portions minimalistes pour ne pas la blesser. Elle avait gardé depuis une passion pour cette eau qui lui avait rendu la vie. Pendant ces trois jours d’enfer, elle avait prié pour qu’un jour elle puisse boire à nouveau de l’eau. Aujourd’hui, elle ne pouvait plus rien boire d’autre, seule l’eau réussissait à la désaltérer.

 

Puis le médecin s’était occupé de ses brulures nombreuses sur son visage et ses bras. Elle avait porté des pansements de tulle enduits de produits gras pendant plus d’un mois. Un jour, sa peau avait enfin été réparée. Mais elle ne portait plus jamais de manches courtes, il lui restait de nombreuses cicatrices qu’elle gardait comme un rappel de ce que peut faire l’orgueil en mer.

 

Elle avait dû subir trois greffes du visage, mais aujourd’hui celui-ci était redevenu agréable à regarder, même si parfois, elle avait du mal à se reconnaître. Pour la première fois depuis la nuit du drame, elle avait dormi sereinement. Les cris de son frère ne l’avaient pas tenue éveillée. Elle gardait en elle une culpabilité, celle de n’avoir pas suffisamment crié. Peut-être que s’il avait su qu’elle était vivante, il se serait battu plus férocement pour survivre. C’est cette culpabilité qui empêchait son sommeil, car elle la portait chevillée au corps.

 

Ses parents avaient été prévenus de son sauvetage et ils étaient à l’hôpital lorsqu’elle s’était réveillée. Elle avait tout encaissé, les soins, les greffes, mais pas les questions incessantes de ses parents. Elle ne pouvait pas leur répondre, pourquoi ne le comprenaient-ils pas ? Elle ignorait toujours comment Thomas avait disparu, elle n’avait jamais dit à qui que ce soit qu’il avait hurlé son nom jusqu’à ce qu’elle sombre dans la nuit glacée. Et cette culpabilité-là, elle n’arrivait pas à s’en défaire.

 

Que se serait-il passé si elle avait répondu ? Aurait-elle eu assez d’air pour plonger, récupérer la hache et s’en sortir ? Elle avait dû retirer son gilet de sauvetage, car elle n’arrivait pas à plonger, puis il avait fallu le remettre avant de forcer la porte de la cabine. Il aurait pu entendre les coups de hache ! Quand elle avait quitté la Bretagne et ses parents, elle avait commencé une psychothérapie. Le psychiatre avait bien tenté de la libérer, mais sans succès. Finalement, cette petite annonce était le seul moyen qu’elle avait trouvé pour se sortir du gouffre où elle avait plongé, il y a cinq ans à présent.

 

Ce soir, elle est là ! Seule au cœur de l’océan luttant avec ses vieux démons. L’immensité semble si inoffensive à cette heure, mais elle sait qu’elle doit rester vigilante. Elle ne lui fait plus confiance, mais elle a toujours, pour cet océan gigantesque, une profonde admiration. D’ici, on pourrait croire que tout est parfait. Toutefois, elle sait que cet univers est la proie de grands changements qui risquent de l’anéantir. Ces dernières années, elle avait traversé de nombreux océans, des mers et elle avait pu constater les détériorations de cet environnement vital pour les hommes.

 

Que ce soit l’océan Pacifique, l’Atlantique, la Méditerranée, partout, elle avait vu les mers et océans salis, souillés, mourants. Mais plus grave, elle avait souvent constaté que ceux qui souffraient de ces métamorphoses, bien souvent, n’en étaient pas les responsables.

 

Non ! Ces dégradations venaient d’Europe, des États-Unis ou de Chine. De ces trois grandes puissances dites « civilisées ». Le sixième continent de plastique se déploie aujourd’hui sur environ trente mètres de profondeur et il est grand comme trois fois la France. Il empoisonne tout sur son passage. Et il a déjà fait des petits.

 

Elle avait tant aimé les îles Samoa, avec son frère, ils en avaient bien profité avant ce jour funeste.

 

Combien de baleines, dauphins, tortues, oiseaux, faudrait-il, pour que nos chers « élus » réagissent. Les hommes courent vers leur perte. Ils sont devenus fous. Plus d’argent, plus de biens de consommation totalement inutiles. Ils n’en ont jamais assez. Son frère ne verra pas cela. Aujourd’hui, ils ne se parlent même plus à part avec leurs gadgets. Bientôt, on leur greffera une puce dans le crâne à la naissance et la lobotomie sera l’étape suivante. Je vous promets un avenir de bons petits robots à la Aldous Huxley. Nous y sommes, relisez-le c’est édifiant. Quel bel avenir je vois pour vous….

 

Elle pense à tout cela tandis qu’elle remet le bateau à son destinataire. Mais vous, ne l’attendez pas, elle est partie rejoindre Pierre Rabhi... Elle s’est sentie pousser des ailes de colibri.

 

Maridan 12/01/2014

 

 

Quelques textes et vidéos à voir et à lire….

 

 La Méditerranée aux abords de la Tunisie est interdite à la baignade, tellement son eau est polluée, de couleur marron, elle ne donne pas envie.

http://www.huffpostmaghreb.com/2013/07/17/pollution-gabes-tunisie_n_3609340.html

 

Les naufrages des pétroliers ne représentent que 5% de la pollution marine. Par contre, nous sommes responsables des déchets qui se déversent dans les mers et océans. http://www.bioaddict.fr/article/pollution-des-oceans-nous-nageons-au-milieu-des-ordures-a1699p1.html

 

Des pollutions marines viennent de la terre et de nos comportements irresponsables.

http://www.consoglobe.com/plastiques-petrole-oceans-agonisent-dechets-1733-cg.  

Certes, à mon niveau, je ne ferai pas grand-chose, mais si en me lisant, vous faites attention, à ne plus acheter de produit emballé dans du plastique. Que vous favorisez les achats chez vos commerçants, producteurs, agriculteurs, et autres prestataires de service à proximité de chez vous !

Vous agissez et bien ! Vous mettez en danger la grande distribution et ses méthodes de gangsters. Vous redonnez du souffle à des gens de la terre, pleins de bon sens, qui ont été jetés au chômage par les accords d’une Europe agonisante.

 

Aujourd’hui nous avons créé un 6ème continent de pollution plastique qui tue de nombreuses vies marines. Mais demain, c’est vous qui serez les victimes et vous ne pourrez pas dire, je l’ignorais.

 

La pollution à Bali

http://blog.surf-prevention.com/2012/04/25/twitter-kelly-slater-bali-pollution/

 

le rapport de l’ONU

http://archipeldessciences.wordpress.com/2011/02/18/pollution-des-oceans-lalarmant-rapport-de-lonu/

 

le pétrole en mer

http://www.beurk.com/breves/6-millions-de-tonnes-de-petrole-deverses-en-mer-chaque-annee

 

l’Indonésie dont on nous vente les images. Voici ce que nous en avons fait avec notre course à la consommation et les plaisirs de la grande distribution.

 

http://www.regardsurlemonde.fr/blog/le-citarum-lun-des-fleuves-les-plus-pollue-au-monde

Heureusement des consciences se lèvent. Ce jeune homme admirable a trouvé un moyen de dépolluer les océans, or, personne n’en parle ! Pourquoi ?

 

  http://blog.surf-prevention.com/2013/04/02/boyan-slat-ocean-cleanup/

Donnons-lui notre soutien.

 

 

 Bravo jeune homme!



12/01/2014
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